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L'éloge de la marche

Marcher, c’est sortir du cercle des conditionnements ordinaires. Laisser derrière soi le marais des soucis pour retrouver un second souffle. La marche est une ouverture au monde, un exercice à plein temps de la curiosité. Il y a un émerveillement à s’immerger dans certains lieux, ou à découvrir soudain devant soi un cerf immobile dans la futaie. Emerveillement devant la beauté des lieux, du silence, des odeurs, de la disponibilité retrouvée.

Il faut emprunter les chemins de traverse, en marchant, pour retrouver dans ce geste gratuit combien l’existence est précieuse et belle à qui sait aller à sa rencontre. Le marcheur ne laisse pas le temps le prendre, il prend son temps, il renoue avec la flânerie, la disponibilité des autres et au monde. Il est dans un temps ralenti, sans urgence, un temps du corps déterminé seulement par le rythme choisi, la fatigue, la faim, la soif. L’horloge est cosmique, elle est à la mesure de soi-même.

Le marcheur est un résistant, il est dans le refus du rendement, de l’urgence, de l’efficacité, de la communication obligatoire. Il prend la clé des champs en toute indifférence aux impératifs marchands ou autres. Il est dans le superflu ; marcher en effet, comme les seules choses essentielles de la vie, ne sert à rien. La marche procure seulement la jubilation sensorielle d’exister, de s’immerger dans la tranquillité heureuse du monde. On vit ce temps de cheminement comme intense, souvent mémorable. La marche libère la parole, et donc aussi le silence. La marche est souvent un détour nécessaire pour se rassembler soi, retrouver le goût de vivre, la saveur du monde.

En découvrant le monde à pas d’homme, le marcheur se met en posture de se redécouvrir soi, de retrouver un essentiel qui n’appartient qu’à lui mais qui signe parfois une reconnaissance. La marche est aussi une manière de retrouver son centre de gravité après avoir été jeté à l’écart de soi par les événements de la vie. Elle implique un état d’esprit, une humilité heureuse devant le monde. Elle rétablit une échelle de valeur que nos routines tendent à faire oublier. Le marcheur est nu devant le monde qui l’entoure, il se sent responsable de ses actes, il peut difficilement oublier son humanité élémentaire.

Nos sociétés connaissent un formidable renversement anthropologique en neutralisant largement le corps comme mode de déplacement et de jouissance. A cause des infrastructures dont la voiture a besoin, le monde où marcher se réduit toujours davantage. Les espaces verts ouverts à la déambulation, à la surprise diminuent. Le marcheur est souvent réduit à des espèces de réserves où il est plus ou moins protégé. Le corps est devenu superflu pour nombre de nos contemporains qui se sentent d’ailleurs à juste titre mal dans leur peau.

L’humanité est corporelle et ne pas jouir de son corps dans la vie quotidienne revient à perdre la chair du monde. Le marcheur est un beau pied de nez à la modernité. Il est à contretemps, à contre-pied de nos sociétés de la vitesse et du rendement. Il est dans la sensation du monde.

Marcher, d’après David Le Breton,
sociologue et auteur de « Eloge de la marche »

Lu par Vincent dans La Montagne et Alpinisme, 1/2004

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